Histoire de la foi à Marseille

Naissance de la communauté Baha’ie de Marseille par Suzanne Soghomonian

Le grand-père maternel de Jean, Stéphan Baronian, d’origine arménienne, était un orfèvre renommé à Samsoun en Turquie, d’origine chrétienne comme tous les Arméniens. Il était marié à Pérouze qui lui a donné quatre enfants: deux garçons et  deux filles. Ils ont tous reçu une bonne éducation. Vincent, un de ses fils étudiait au séminaire pour être prête et Marie, la fille aînée (la maman de Jean) est devenue professeur de français, d’arménien et turc. Stéphan Baronian était dans sa jeunesse un nationaliste convaincu, mais également un grand humaniste. Il créa un élevage de vers à soie pour donner du travail au gens de la région. Pour cela, il reçu une médaille du gouvernement turc.

Jean Soghomonian (1928-2014)
Stephan Baronian

Dans les années 1920-22, il reçu le message bahá’í par un dentiste turc en Syrie, Monsieur Achraf. Comme il aimait le dire souvent, il reçu le message d’amour universel par un turc, alors qu’entre eux du point de vue historique et religieux, il existait un antagonisme séculaire. En 1923, ils sont tous venus s’installer à Marseille. Stéphan Baronian donna le message à ses enfants, seuls deux d’entre eux ont accepté cette nouvelle religion: Marie et Vincent.

Monsieur Baronian avec la Communauté Bahá’ íe (probablement à Alep en Syrie)

Stéphan, ne connaissant pas le français, c’est dans la communauté arménienne qu’il donnait le message de Bahá’u’lláh. Les arméniens étaient nombreux à Marseille, car beaucoup de réfugiés, fuyant le génocide, s’étaient installées dans les banlieues. Marie l’aidait beaucoup et elle traduisait pour lui les quelques Écrits disponibles en français à cette époque.

En 1925, Marie Baronian épouse à Marseille Stéphan Soghomonian commerçant dans cette ville depuis 1909. Le couple part quelques années s’installer en Algérie, puis au Raincy dans la banlieue parisienne. Deux enfants sont nés, Jacques en 1926 et Jean en 1928. De retour à Marseille dans les années 30, les deux familles Soghomonian et Baronian ainsi que la famille de Vincent Baronian s’installent dans la banlieue de Sainte Marguerite.

Famille Soghomonian et Pérouze Baronian

Stéphan Baronian parle sans cesse du nouveau Message, mais peu de personnes le prennent au sérieux; toutefois, parmi ses compatriotes, il est considéré comme un “saint homme”. Un jour, un voisin vient le chercher pour aller prier pour son chien malade. Voyant le désarroi de son ami et ne voulant pas lui faire de peine, il est allé avec lui prier pour son chien. Il parle souvent à ses petits-enfants des qualités bahá’íes et leur enseigne des prières. Toutefois, comme tous les enfants, ils sont turbulents et il n’est pas tranquille pour prier et méditer, aussi il construit dans le jardin une cabane en planches pour s’isoler et pouvoir prier dans le calme. Dans les années 1936-37, Marie traduit en arménien une brochure “Le Bahaisme, sa mission dans le monde”. Cette traduction a été approuvée par l’Assemblée spirituelle des bahá’íes de Paris, seule assemblée spirituelle bahá’íe en France. Quatre personnes acceptent le nouveau message. Le groupe s’approfondit avec les quelques Écrits qu’il possède. Marie reçoit de la littérature bahá’íe de Suisse et de Paris, la plupart sous forme d’écrits dactylographiés. Les livres sont rares. Stéphan Baronian évoquait souvent l’âge d’or de la foi bahá’íe et il disait: “Je le verrai avec les yeux de mon âme”.

L’administration bahá’íe n’était pas encore effective en France (l’unité qui caractérise la religion bahá’íe vient des instructions ordonnées par Bahá’u’lláh).
C’est dans ces années-là que Stéphan Baronian, découragé par le petit nombre de personnes réceptives au message de Bahá’u’lláh, écrivit au Gardien, Shoghi Effendi, pour lui faire part de son désarroi. Il reçu la réponse suivante datée du 29 Août 1937, écrite par son secrétaire, avec en fin de page quelques lignes encourageantes écrites de sa main:  

“…maintenant, en ce qui concerne vos activités à Marseille, le Gardien ne veut pas que vous perdiez courage si le progrès semble être lent. Plutôt devez-vous redoubler d’efforts, confiant que tôt ou tard ils porteront des fruits. Parce que cette Cause est la Cause de Dieu et son triomphe est certain. Peut-il être pour les bahá’ís une certitude plus grande que celle-ci?

Prenez-donc courage cher frère et ne vous arrêtez pas dans vos efforts. Une chose a causé beaucoup de joie au Gardien; c’est qu’il a appris que votre chère fille vous aide avec autant d’efficacité dans votre tâche bahá’íe. Il désire que vous lui transmettiez ses plus chaleureuses félicitations et voeux de succès pour son travail en ce qui concerne la traduction de littérature du français en arménien. Il désire que le manuscrit soit terminé très promptement, mais avant de l’envoyer à la publication, il lui conseille de le communiquer à l’Assemblée bahá’íe de Paris afin d’obtenir son approbation pour l’imprimer; car toutes les publications faites en France doivent être faites sous sa tutelle.”

Le Gardien termine en invitant Monsieur Baronian et son épouse à visiter les tombeaux sacrés cette année là. Il espère que le moyen lui en sera donné et qu’il pourra, ainsi, remplir ce cher désir de son coeur. Chose, hélas, qu’il n’a pas pu réaliser.

Entre 1937 et 1940, les familles Soghomonian et Baronian ouvrent leurs portes pour accueillir des amis baha’is du monde entier de passage à Marseille, dont certains les aideront dans l’enseignement et l’approfondissement . Monsieur et Madame Maxwell, les parents de Ruhiyyih Khanum (épouse de Shoghi Effendi) ont été parmi ces visiteurs.

Mesdames May Maxwell et Lucienne Migette

Pendant les années sombres de la guerre, les bombardements, les privations, la maladie de Stéphan Soghomonian, le décès accidentel de Stéphan Baronian en 1940, la Foi est le soutien de toute la famille.
En 1940, Marie Soghomonian, son époux malade et leurs deux enfants quittent alors la banlieue pour venir habiter en ville. La famille survit avec difficulté. En 1945, les parents décident d’envoyer leurs enfants à Condom dans le Gers encouragés par une famille bahá’íe, commerçante dans cette ville et avec qui Marie correspondait. La vie était difficile à Marseille pour ceux qui ne pouvaient acheter les produits au marché noir. A Condom, les enfants pouvaient manger à leur faim.

C’est là que mon histoire rejoint celle de Jean le 13 mai 1945. Jean retourne définitivement à Marseille en octobre 1945 mais il fait souvent de brefs voyages à Condom. En mai 1948, il part faire son service militaire au Maroc et nous nous écrivons régulièrement. Un an après, démobilisé, il me fait la surprise d’arriver chez moi alors que je partais travailler. Il repart à Marseille travailler dans le commerce des oeufs avec son père et son frère. Nous nous marions le 1er juillet 1950, le groupe bahá’í compte maintenant sept personnes: les familles Soghomonian et Baronian.

Nous sommes en 1952 et Marseille comprend 7 bahá’ís. Pour former une assemblée nous devons avoir deux personnes de plus pour le 21 avril (date administrative pour la formation des assemblées locales).

Première Assemblée Locale de Marseille, avril 1952

Le 18 avril nous recevons une lettre de l’Assemblée Spirituelle de Paris nous annonçant la venue à Marseille de deux amis iraniens pour former notre Assemblée. Le samedi 19 avril, nos deux amis arrivent: Le dimanche soir à 20h nous élisons notre première Assemblée.

Hélas, nos amis repartent pour Paris un mois plus tard. Nous nous retrouvons comme auparavant, les 7 membres de notre famille nous essayons de fonctionner comme une assemblée (Se déplacer d’une ville à une autre juste pour former une assemblée était chose courante à cette époque mais, par la suite, notre bien-aimé Gardien a interdit cette pratique.)
Le 1er décembre, un ami iranien, vient s’installer à Marseille. Alors que Marie Soghomonian est sortie chercher une chambre à louer pour lui dans le quartier, son époux, Stéphan Soghomonian décède soudainement d’un arrêt du coeur. Il avait 61 ans. Les obsèques ont eu lieu le jeudi 4 décembre avec des prières bahá’íes.
Cet ami est automatiquement inclu dans l’Assemblée et les réunions continuent ainsi que les cours d’approfondissement. En avril 1953 et 1954, l’Assemblée ne peut se reformer, nous continuons donc les activités en tant que groupe. J’assure le secrétariat, peu important pour le moment, et nous achetons ma première machine à écrire.

Le 22 mai 1953, toute la famille assiste au premier congrès National des bahá’ís de France à Lyon. Une trentaine de bahá’ís sont présents ainsi que la Main de la Cause Monsieur Giachéry.
C’est le lancement de la croisade de 10 ans par notre bien-aimé Gardien et Marseille est désignée, entre autres, comme ville “but”.

Premier Congrès National à Lyon 23-25 mai 1953

L’Assemblée de Paris fait office d’assemblée-mère en collaboration avec le Comité d’enseignement pour l’Europe de l’ASN des Etats-Unis (ECT). C’est une période de grande effervescence dans le monde bahá’í; répondant à l’appel du Gardien, des familles entières quittent leur pays pour aller ouvrir des régions ou des villes à la foi de Bahá’u’lláh, souvent sans connaître la langue du pays, animées de l’esprit de service et de sacrifice. A Marseille, ville portuaire, nous avons accueilli un grand nombre d’amis venant d’Iran et notre maison a été bénie par cette vague d’amour et d’abnégation apportée par ces amis de passage. 

En septembre 1953, nous avons reçu la visite de la Main de la Cause, Ali Akbar Furutan, qui est resté trois jours à Marseille (Les Mains de la Cause de Dieu furent un groupe de 50 éminents bahá’ís, principalement chargés de répandre et de défendre la Foi bahá’íe au niveau mondial). Jean et un ami sont allés avec lui à la rédaction du journal Le Soir pour apporter des rectifications à une publication parue quelque temps auparavant. Il s’agissait d’une bande dessinée quotidienne en dernière page du journal portant le titre: “Étrange fusillade”. Elle représentait la vie du Báb et son exécution mais avec beaucoup d’erreurs. Le journaliste n’a pas tenu compte de la vérité, ce qui l’intéressait c’était le côté “bizarre” pour plaire à ses lecteurs.

En avril 1954, Marseille ne peut toujours pas reformer son Assemblée, mais le groupe fonctionne bien. Ainsi, le groupe organise la première conférence publique sur la foi bahá’íe donnée par Mademoiselle Marie Madeleine Davy rue Grignan sur “L’homme et son évolution”; une trentaine de personne y assistent.

En février 1955, Madame Marziel Gail, bahá’íe américaine, petite fille d’Ali Kuli Khan, un des secrétaires d’Abdu’l-Bahá, donne deux conférences au théâtre Massalia. Elle est accompagnée de son époux et du célèbre peintre Marc Tobey. Ces conférences sont agrémentées d’une projection de diapositives sur les lieux saints. Les projections en couleurs, une nouveauté pour l’époque, attirent du monde.

Le 20 mars au soir, c’est la fête de Naw Ruz (la base du calendrier est l’année solaire, il est constitué de 19 mois de 19 jours (soit 361 jours), auxquels s’ajoutent des jours intercalaires -4 jours ou 5 lors des années bissextiles- entre le 18ème et le 19ème mois. Le Báb a nommé chaque mois selon les qualificatifs des attributs de Dieu.
Le calendrier commence l’année de la déclaration du Báb, c’est-à-dire en 1844 selon le calendrier grégorien.
L’année commence à l’équinoxe de Printemps, c’est-à-dire le 21 mars: c’est le jour de l’An bahá’í.

Assemblée Spirituelle élue le 21 avril 1955

Nous avons la joie de recevoir la famille Rouhani et la famille Motahedeh venues d’Iran. Monsieur et Madame Rouhani décident de s’installer à Marseille avec leur deux jeunes enfants, Said et Sussan.
Le 31 mars, un ami, qui a assisté aux conférences de Marziel Gail et suivi nos réunions d’approfondissement se déclare bahá’í. Nous pourrons ainsi reformer notre Assemblée le 21 avril prochain!
En 1956 et 1957, l’Assemblée est reformée avec quelques nouveaux membres. Les deux familles quittent Marseille et de nouveaux déclarés sont accueillis dans la communauté. Le 7 novembre au matin, nous recevons un télégramme de l’Assemblée de Paris annonçant le décès de notre bien-aimé Gardien, survenu à Londres le 4 novembre. Cette nouvelle est une commotion pour nous mais aussi pour tout le monde bahá’í. Le Gardien était la personne infaillible à laquelle on se référait pour résoudre de graves problèmes administratifs, mais aussi que le simple croyant pouvait solliciter pour demander conseils ou prières.    

Bientôt, nous recevons de l’Assemblée de Paris le texte de la proclamation des Mains de la Cause annonçant que le Gardien n’a pas laissé de testament ni d’héritier et que tous les Aghsans (descendants de Bahá’u’lláh) sont morts ou déclarés violateur du Covenant. Donc, il n’y a personne pour lui succéder. Ce texte a été signé par les 27 Mains de la Cause en fonction. Les Mains de la Cause réalisèrent tout l’héritage que le bien-aimé Gardien leur avait laissé; toutes les directives sont données pour accomplir le plan de 10 ans et arriver à l’établissement de la Maison Universelle de Justice. Les activités continuent sous les directives et la protection des Mains de la Cause.

En avril 1958, c’est l’élection de la première Assemblée spirituelle nationale de France. Les 19 délégués représentent les communautés de Paris, Lyon, Orléans, Nice et Marseille.

Première Assemblée Nationale de France élue en avril 1955. Au centre la Main de la Cause Dr Grossman, à sa droite Miss E.True Présidente de l’ASN des USA.

En juillet, Jean et moi participons à l’école d’été à Strasbourg, puis à la conférence internationale de Francfort. Cette conférence, ainsi que quatre autres de par le monde, avait été programmée par le Gardien pour marquer le milieu du plan de 10 ans. Dix mains de la Cause y assistent et Amélia Collins représente Shoghi Effendi. C’est la première fois que nous sommes mis en présence du portrait de Bahá’u’lláh. C’est une grande émotion!
Nous repartons pour Marseille enthousiaste et régénérés spirituellement; se succèdent départs, arrivées et déclarations. La communauté est composée de 15 membres adultes. En février, un inspecteur de police vient chez nous se renseigner sur la Foi bahá’íe et sur les activités à Marseille. En mai 1959, c’est un journaliste de la revue Marseille Provence Magazine qui nous rend visite pour faire un article sur les bahá’ís. Après renseignements, photos et documentations, il fait paraître un article avec en gros titre “Un marchand d’oeuf, prêtre bahá’í”. L’article est correct et mentionne que la Foi bahá’íe n’a pas de prêtre, mais le but recherché pour attirer l’attention du lecteur est atteint. Pendant sa tournée chez les commercants pour livrer les oeufs, Jean doit répondre à toutes les questions plus ou moins ironiques.

En août 1960, Monsieur et Madame Sabet, pionniers iraniens, s’installent à Marseille avec  leurs quatre enfants âgés de 10 à 20 ans, Paritcheh, Méri, Mahchid et Farchid.

Famille Sabet

En octobre, c’est Monsieur et Madame Abrar, également pionniers iraniens, qui viennent habiter Marseille avec leurs enfants de 7 et 11 ans, Diba et Chiva; Rosi naîtra quatre ans plus tard.

Famille Abrar

Quelle joie pour nous et quel soulagement de ne plus avoir à porter seuls la responsabilité de toute la communauté! Notre assemblée est reconstituée, les activités s’intensifient: conférences publiques, réunions d’approfondissement, coins de feu…
Les années se succèdent; il y a de nouvelles déclarations, des transferts, des naissances, des pique-niques inoubliables où toute la communauté se retrouve autour de grandes marmites de polo, des moments de sport le dimanche matin au stade pour les plus dynamiques…

Dans sa tournée, Jean a souvent l’occasion de parler avec ses clients sur l’actualité ou sur des sujets divers; il fait la connaissance d’un jeune pâtissier très intéressé par les questions religieuses et qui aime bien discuter avec lui. C’est ainsi que Sauveur Lo Cascio est devenu, quelque temps après, un  bahá’í très actif et, après lui, son épouse, ses enfants et petits-enfants. Son fils Bernard vient d’être nommé récemment conseiller pour la France par la Maison Universelle de Justice.

Le 21 avril 1963, convoqués par les Mains de la Cause, les membres des assemblées spirituelles nationales du monde se rendent à Haïfa pour élire la première Maison Universelle de Justice. 

Les fêtes et les réunions diverses se font désormais chez nos amis pionniers qui ont des appartements plus vastes. Ce n’est pas pour autant qu’il n’y a plus d’activités chez nous; tous les amis sont toujours les bienvenus, la porte toujours ouverte et la table hospitalière. Jean est un peu le conseiller et le confident de beaucoup de jeunes. Il sait écouter et réconforter, et c’est parfois une partie de la nuit qu’il passe en tête à tête à discuter ou résoudre un problème…

La communauté s’agrandie, les activités s’intensifient, réunions, conférences publiques, expositions… Grâce à la générosité d’une famille bahá’íe, un local est acheté 140 rue Paradis pour servir de lieu de réunions et d’exposition permanente.

Peu à peu, sous les directives de la Maison Universelle de Justice de nouvelles méthodes d’enseignements et d’approfondissement se mettent en place: classes pour enfants  et adolescents , études des textes, réunions de prières ouvertes à tous…